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Décès de François Morellet : la France perd l'un de ses plus grands...

Décès de François Morellet : la France perd l'un de ses plus grands...

Il était le maître de l'art abstrait, pionnier du minimalisme à la française. François Morellet est décédé le 11 mai 2016, à l'âge de 90 ans, deux mois à peine après la fin de l'exposition monographique que lui a consacré le MAC/VAL à Vitry-sur-Seine. Portrait d'un « rigoureux rigolard », entré dans la Collection Société générale en 2004.

 

Ce vieux baroudeur de l'abstraction géométrique forçait encore l'admiration de beaucoup de jeunes artistes, qui puisaient dans son œuvre espièglerie et exigence conceptuelle. En 2010, le Musée du Louvre lui commandait la réalisation de vitraux pour l'escalier Lefuel, le faisant entrer de son vivant dans l'histoire de l'art. Quand il meurt dans la nuit du 10 au 11 mai 2016, à Cholet (sa ville natale), c'est donc une double perte que l'on subit. Celle d'une figure historique – il fonde avec Julio LeParc et Vera Molnar  le Groupe de recherche d’art visuel, dit GRAV – et celle d'un éternel inspirateur. François Morellet avait beau avoir atteint les 90 ans, marcher avec une canne, porter sur son visage les marques de l'âge, il semblait ne devoir jamais mourir. Protégé par on-ne-sait quel sortilège. Pas une exposition d'art minimal sans un Morellet ; pas une foire d'art contemporain sans un de ses "néons" (dont la côte à l'international avait grimpé ces dernières années) et pourtant on n'arrivait pas à s'en lasser. Rares sont ceux qui tiennent aussi longtemps la distance, et supportent sans s'appauvrir la redondance commerciale. François Morellet mort ? Impossible.  

 

Jeu, set et maths

La carrière de ce petit-fils d'industriel de province, né en 1926, débute dans le confort de la peinture figurative – pratiquée en parallèle de la direction de l'usine familiale de jouets – et se poursuit dans les rigueurs de l'abstraction géométrique. François Morellet embrasse les théories de l'Art concret, venu de Suisse. Influence dont il conservera l'esthétique austère (formes et couleurs réduites) et une solide amitié avec Gottfried Honegger – mort, triste coïncidence, quelques mois avant lui. Mais, à la différence de son camarade helvète qui voulait changer le monde avec son art, François Morellet s'attache, lui, à en dérider la facture et la réception. Frivole, il cultivera toute sa vie une «  faculté d'indifférence » au "vrai art ". « François Morellet, c'est n'importe quoi ! » clame, en 2014, le titre de son exposition chez le  galeriste parisien Kamel Mennour. Celui qui aurait inventé le minimalisme (avant Frank Stella et Sol LeWitt !) dépolit son œuvre à grand coup d'esprit dada. Il fait entrer le hasard dans la composition de ses « systèmes ». Comme pour ses aînés de l'Oulipo, les mathématiques (« niveau classe de cinquième», précise ce modeste) serviront à définir les programmes de composition de ses premières trames– répétition de motifs rappelant les décors de l'Alhambra, ou les tapa océaniens, qu'il admire tant. Pour jouer il faut une règle. François Morellet en établira une pour chacune de ses productions. Histoire de ne pas trop se mouiller dans la conception de l'œuvre. L'anticonformiste rêve d'un art qui serait anonyme ; d'un art coproduit par celui qui le regarde. Une vision très duchampienne aboutissant à la fondation du GRAV en 1960 – le collectif  franco-latino-américain s'éteindra avec Mai 1968 – et la création de l'art cinétique. « Décontracter » le spectateur, « le faire participer » par la lumière et le mouvement, sera l'un des commandements du groupe. François Morellet lui restera fidèle. « Les œuvres d'art sont des coins à pique-nique où l'on consomme ce que l'on apporte soi-même » nous prévient l'artiste. Pique-assiette s'abstenir.  

 

Mondrian burlesque

Une œuvre de François Morellet, c'est d'abord un titre, qui en énonce le principe de composition et/ou en décrit le programme de façon humoristique, jeu de mots et goût pour l'absurde à l'appui. Des formes géométriques choisies et positionnées de manière aléatoire. Une variabilité de matériaux et de techniques (adhésifs, néons, installations). « Un de mes systèmes préféré consiste à répartir des éléments simples sur une surface d’après le principe du « jeu de la bataille navale ». Les coordonnées étant fournies par les chiffres d’un annuaire de téléphone » explique t-il. Du bottin au nombre Pi, qui lui fournira une infinité de combinaisons possibles, tout est bon à prendre pour improviser à l'intérieur d'un cadre prédéfini. François Morellet aime taquiner l'ordre, avec ses lignes droites soudainement brisées et ses grilles prises de vertige. Jamais un arc de cercle (dégringolant de son axe circulaire) ne nous aura fait autant rire. Jamais une sculpture minimale ne plagiera aussi bien les positions du Kamasutra. Personne avant lui n'avait osé déshabiller une bande de peinture pour en dévoiler le tracé préparatoire (Strip-teasings). Utilisant le néon depuis les années 1960 – cf. le tableau les 16 côtés du carré, acquis par la Collection Société générale – il le mettra au service de son indiscipline. Aveuglant le spectateur (4 panneaux avec 4 rythmes d’éclairage interférents , 1963), formant des motifs obscènes (Néon abscons, 1968) ou semant la pagaille dans un bouquet de lignes droites (Avalanche, 1996).  

 

Panique sur la ville  

Encore peu connu du grand public, François Morellet nous accompagne pourtant au quotidien. On croise ses œuvres partout en France, en raison d'un nombre important de commandes publiques. Mais également en Allemagne (grande fan de l'artiste). La ville est un autre de ses terrains de jeu. Ses « intégrations architecturales » réveillent la façade de la gare de Chinon. Ses sculptures monumentales viennent transformer le paysage urbain, le chatouiller (pour le « faire sourire » un peu) ou le brutaliser. Il signe notamment la Défonce, cette immense structure qui vient transpercer le bâtiment du Fond national d'art contemporain dans le quartier de La Défense. Les barres d'acier s'enfoncent dans le sol, proposant un contrepoint ironique à l'élévation glorieuse des tours de la city parisienne ; brisant la perspective triomphante de la Grande Arche. Plus au sud, les Montpelliérains seraient peut-être étonnés d'apprendre qu'ils doivent à François Morellet le rond-point du grand M, repère urbain incontournable qui avait fait polémique à son inauguration en 1986. Plus récemment, à Nantes, l'artiste transforme des arcs de cercle lumineux en station météo. Le sacro-saint monument ne résiste pas à l'indocilité de François Morellet. Maintenant qu'il a rejoint dans la tombe ses maîtres à penser Marcel Duchamp, Alphonse Allais et Raymond Queneau, on les imagine rigoler ensemble de tous ces mémoriaux à venir.

 
Céline Piettre