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Shirley Jaffe, chef d’orchestre de l’abstraction

Shirley Jaffe, chef d’orchestre de l’abstraction

L’artiste peintre américaine Shirley Jaffe, implantée à Paris depuis 1949, est décédée à l’âge de 93 ans. Retour sur le parcours d’une figure libre et majeure de l’art contemporain abstrait dont la Collection Société Générale possède une imposante toile (Le Buisson ardent, 1982) ainsi que plusieurs sérigraphies.

 

Née en 1923 dans le New Jersey, sur la côte Est des États-Unis, Shirley Jaffe suit des études d’art à la Cooper Union School of Art à New York puis à la Phillips Art School à Washington. Fraîchement diplômée, elle s’installe en 1949 à Paris – qu’elle ne quittera plus guère – pour suivre son mari GI. Elle en profite pour se rapprocher d’autres artistes nord-américains expatriés tels que Sam Francis, Joan Mitchell ou Jean-Paul Riopelle, et ne tarde pas à se faire connaître comme peintre expressionniste abstraite. Entre 1963 et 1964, un séjour à Berlin change tout. Boursière de la Ford Foundation, elle s’y éloigne du milieu parisien et de l’Expressionnisme abstrait, mouvement fondé sur le geste, la spontanéité et le travail de la matière, pour mettre au point un langage géométrique plus pur, plus structuré, plus personnel aussi, qu’elle ne cessera dès lors de perfectionner. 
 
La seconde moitié des années 1960 voit l’inauguration de sa première exposition à la galerie parisienne Jean Fournier – neuf suivront – et l’établissement de son atelier dans le Quartier latin. Les expositions se succèdent alors de part et d’autre de l’Atlantique. En France, elle est à l’affiche de la (jeune) Fondation Cartier pour l’art contemporain en 1986 et 1987, du Centre Pompidou en 1993, 1997 puis 2009, et du MAC VAL en 2014 et 2015. 1999 est une année charnière pour Shirley Jaffe : elle réalise des vitraux pour la cathédrale de Perpignan, se trouve célébrée par une rétrospective au musée d’art moderne de Céret et entame une collaboration fructueuse avec la galeriste parisienne Nathalie Obadia qui lui consacrera sept expositions. 
 
La dernière en date, présentée début 2013, s’intitulait Seeing, invitant le spectateur à regarder sa peinture de près, de très près même. À première vue, les toiles de Shirley Jaffe, ce sont des formes et des couleurs. Beaucoup de formes : cercles, carrés, bandes, volutes et zigzags qui s’épousent ou se tiennent à distance. Et beaucoup de couleurs : rouges, bleus et jaunes, bien sûr, mais aussi roses – fuchsia ou tendres –, verts – pomme ou émeraude –, orangés, ocres… Une palette sans limites, hormis celles du noir qui ponctue et du blanc qui clôture. Plane, gaie, séduisante et simple, la peinture de Shirley Jaffe ? Pas seulement. Elle est aussi mouvante, rigoureuse, complexe. À la surface de la toile, les formes et les couleurs se juxtaposent, se superposent, se dissocient, dans un ballet rythmé qui ne laisse rien au hasard. Une place pour chaque forme et chaque couleur à sa place. L’agencement est travaillé, retravaillé, jusqu’à former un système autonome, équilibré et déstabilisant, un « chaos ordonné », disait l’artiste. 
 
Souvent vue comme l’héritière de Kandinsky ou de Matisse, Shirley Jaffe, dont l’œuvre est présente dans de nombreuses collections publiques et privées (MoMA, SFMOMA, Centre Pompidou, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Museu Berardo…), a elle-même, selon Nathalie Obadia, exercé une influence sur de plus jeunes artistes tels que Pierre Buraglio, Claude Viallat, Jessica Stockholder ou Bernard Piffaretti. Gageons que son nom n’a pas fini de faire la une des grands musées.  
 
Aurélie Laurière