Quinze ans que Paris ne l’avait pas célébré dans de telles dimensions. L’exposition que le musée d’art moderne de la ville de Paris consacre aux grands formats de Zao Wou-Ki (1920-2013) est donc un événement. Un événement dont on a profité pour s’immerger dans la peinture complexe et méditative de celui dont la Collection Société Générale possède une toile intitulée 19.10.76.
Figuration ou abstraction ?
L’entrée de l’exposition, arborant des toiles des années
1960 et 1970, nous l’annonce d’emblée : ce que nous nous apprêtons à
visiter n’est pas une rétrospective. Le parcours proposé par le musée d’art
moderne à travers l’œuvre de Zao Wou-Ki débute d’ailleurs en 1956 avec la toile
Traversée des apparences. Âgé de 36
ans, le peintre a alors déjà une belle carrière figurative à son actif ; avec
une manière nouvelle et un titre on ne peut plus clair, il illustre son désir
de s’éloigner durablement de la représentation. Ce qu’il fera. Creusée dans le
même sillon, la suite de l’œuvre rechigne pourtant à se laisser classer dans le
champ de l’abstraction. À l’écart du réel mais non de toute réalité vécue, nombre
de toiles sont ainsi des hommages à des amis (Henri Michaux), protecteurs
(André Malraux), artistes (Monet, Matisse) ou épouses (Lan-Lan, May). Plus
tard, le paysage ne se tiendra jamais très loin des grandes compositions de la
maturité, à l’instar du triptyque de 2004 Le
vent pousse la mer dans lequel le peintre ira jusqu’à incruster une
facétieuse petite barque.
Orient ou Occident ?
Quand Zao Wou-Ki peint Traversée
des apparences, il est installé à Paris depuis près de dix ans et s’apprête
à s’envoler pour un voyage qui le conduira aux États-Unis. Né en 1920 à Pékin, l’artiste
pratique assidûment la calligraphie pendant l’enfance avant d’étudier la
peinture occidentale. Parfaitement à l’aise dans le Paris cosmopolite qu’il
choisit pour résidence dès 1948, naturalisé français en 1964, il ne s’en montre
pas moins intéressé par la vitalité de la peinture américaine. De ce mélange
d’influences résulte une œuvre plurielle dont le musée d’art moderne s’attache
à rejouer les développements. Tandis que les années 1950-1960 voient le
surgissement et la dissolution dans le geste des idéogrammes chinois, la
décennie suivante assiste quant à elle à une fluidification de la matière,
conséquence de la reprise récente de l’encre de Chine. Après le monumental Hommage à Claude Monet (1991), l’expo
présente d’ailleurs un remarquable ensemble d’encres jamais montré, que vient
clôturer un triptyque de 2005 évoquant la dynastie Han dans un feu d’artifice
de techniques orientales et occidentales.
Méditation
Orientale et occidentale, abstraite et figurative : par-delà
ces qualificatifs, la peinture de Zao Wou-Ki est avant tout méditative. Pour
l’aborder, on peut certes prendre appui sur le réel – ici un idéogramme, là une
plage – mais on n’y est pas contraint. Il est possible de s’attacher au seul rythme
interne des toiles, aux empâtements et aux coulures de la matière, aux fulgurances
et aux respirations des compositions. Des compositions qui, mariant toujours le
plus clair au plus sombre, concentrent les gestes et l’action au centre de la
toile ou les rejettent sur les bords de celle-ci. Le tout forme une œuvre en
équilibre sur les émotions contraires d’un homme que l’on peut suivre ou
devancer, immergé dans les grands formats rassemblés par le musée d’art
moderne.
Aurélie Laurière
À voir > au musée
d’art moderne de la ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, Paris
16e (pendant les travaux, entrée côté Seine aux 12-14 avenue de New
York).
Jusqu’au 6 janvier 2019, du mardi au dimanche de 10h
à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 22h.
Visuel en une :
Zao Wou-Ki, 19.10.76, 1976, huile sur toile, 85 x 70 cm - Collection Société Générale