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Gottfried Honegger : Retour sur la carrière d'un grand monsieur de...

Gottfried Honegger : Retour sur la carrière d'un grand monsieur de...

Figure de proue de l'Art Concret*, le peintre et sculpteur suisse Gottfried Honegger est décédé le 17 janvier à l'âge de 98 ans, à son domicile de Zurich. L'artiste à la renommée internationale s'apprêtait à inaugurer fin janvier une exposition monographique à l'Espace de l'Art Concret de Mouans-Sartoux (PACA). Retour sur la carrière d'un grand monsieur de l'abstraction, présent dans la Collection Société Générale depuis la construction des tours Chassagne et Alicante en 1995.

 

Sur les cimaises de l'Espace de l'Art Concret à Mouans-Sartoux se côtoieront, du 24 janvier au 22 mai 2016, paysages figuratifs des années 1930 et reliefs ajourés de métal peint de production récente. Avec une pointe de solennité en plus, compte tenu de la mort de leur auteur à quelques jours du vernissage. Pensée comme un dialogue entre œuvres de jeunesse et de la maturité, l'exposition «Alpha Omega» tiendra finalement lieu d'hommage. Créé par Gottfried Honegger lui-même en 1990 pour y abriter sa collection personnelle (donnée par la suite à l'Etat français), le centre d'art des environs de Grasse ne pouvait pas offrir de cénotaphe plus approprié. Une exposition qui succède de peu à la rétrospective française de l'artiste, organisée par le Centre Pompidou au printemps 2015.

 

Le hasard fait parfois bien les choses 

Gottfried Honegger naît en 1917 à Zurich et grandit dans un petit village des Grisons. Après des études d'arts appliqués et une carrière de graphiste, il se consacre exclusivement à la peinture en 1958. A l'origine de cette décision, un séjour à New York, où il rencontre Georges Grosz et Jean Arp et expose pour la première fois à la Martha Jackson Gallery. S'en suit un déménagement à Paris, en 1961 – il passera presque 40 ans de sa vie en France. Très vite, le hasard prend une place centrale dans sa pratique. L'artiste confie à l'aléatoire la répartition des formes et des couleurs (le rouge notamment) – qu'il souhaite les plus synthétiques possible, dans la tradition de l'Art Concret zurichois. Ses tableaux-reliefs (monochromes rehaussés de figures géométriques de faible épaisseur) sont composés par ordinateur. Un simple jeté de dès (Honegger dit en garder toujours un jeu dans sa poche) détermine l'orientation d'un rectangle. Quand il dîne au restaurant, il lui arrive même de tirer au sort son menu. « C'est depuis ce temps-là que j'aime les épinards », plaisante t-il lors d'une interview donnée en 2015 à Laure Adler. Des expérimentations nourries par sa fascination pour l'ouvrage de Jacques Monod : Le Hasard et la nécessité. Hésitant entre peinture et sculpture, ces tableaux-reliefs deviendront plus tard des polyptyques et des tableaux-espaces, se mesurant à l'architecture jusqu'à atteindre 7 mètres de long. Une tendance au monumental que l'on retrouve dans certains de ses Pliages (colonnes blanches ou colorées constituées d'une feuille de métal) et de ses commandes publiques, tel l'imposant Monoforme du parc du Musée de Grenoble. 

 

L'art fait du bien à l'âme 

Dans la bouche (polyglotte) de Gottfried Honegger, les mots «vérité» et «beauté» ne cessent de revenir alimenter un discours sur la création aux exigences morales élevées. L'homme est connu pour son militantisme un brin ascétique. Pour lui, l'art est une affaire sérieuse, instrument de libération du regard (et donc de l'être humain). Sans spectateur, pas d'oeuvre. En s'éloignant du figuratif, l'art concret « ne dirige plus le voir » explique t-il. A chacun la charge de se débrouiller avec la forme et la couleur pures. Celui qui n'aspirait qu' « à la clarté » et conspuait les dérives spéculatives de l'art contemporain considérait le fait de regarder comme un acte créatif à part entière. D'où son engagement pour l'éducation artistique – il crée à Mouans-Sartoux des ateliers pour enfants en situation de handicaps ou en grande difficulté sociale. Qu'on construise une chaise ou peigne une toile – il se définit plutôt comme un artisan que comme un artiste –, on se donne la possibilité de changer le monde. Avec les bancs-sculptures 2+2+5 réalisés pour l'Agora du siège de la Société Générale, s'asseoir devient une  expérience esthétique. Gottfried Honegger n'a pas peur, ni de se colleter au réel, ni de s'en absenter, faisant de l'œuvre d'art une « oasis de paix et de méditation », à l'image des immenses monochromes à la craie appartenant à la Collection. On souhaite à ce grand globe-trotter (il séjourne au Texas ou en Union soviétique), qui partageait avec Aurélie Nemours une passion pour le vide, un bon (dernier) voyage.

 

*Théorisé par Theo van Doesburg, comme une pratique « purement plastique » et « anti-impressionniste », le mouvement de l'Art Concret s'est développé dès 1936 sous l'impulsion du collectif zurichois Allianz et du Suisse Max Bill. Sans véritable unité stylistique, ses adeptes (Aurélie Nemours, Gottfried Honegger...) restent fidèles à son principe d'origine, à savoir une «  peinture concrète et non abstraite, parce que rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface ».

 

Céline Piettre